« Le développement d’une organisation tournée vers l’avenir commence par la culture de l’innovation »

De nombreuses entreprises réduisent l’innovation à de simples nouveautés technologiques. Certes, les grosses compagnies ressentent le besoin de bien intégrer ce concept dans leur politique RH. Mais comment motiver ses travailleurs par le biais d’une culture de l’innovation pour atteindre de beaux exemples d’intrapreneuriat ? (Wouter Temmerman)

La capacité d’innovation est essentielle pour garantir des activités pérennes. Même si la direction adhère à ce principe, il ne semble pas évident de laisser suffisamment de temps aux travailleurs pour qu’ils puissent exprimer leur créativité novatrice, en plus de réaliser leurs tâches habituelles. L’innovation et les efforts tournés vers l’intrapreneuriat représentent un défi dans le cadre des ressources humaines. Cette démarche est toujours étroitement liée au développement d’une culture d’entreprise adéquate. Les grosses entreprises s’inspirent ainsi souvent de la dynamique dont font preuve les start-up et les scale-up.

Le cabinet de conseil BDO Belgium, avec son concours pour stimuler l’innovation en interne, en est un bel exemple. BDO a créé sa propre version de l’émission britannique « Dragon’ Den » (Dans l’œil du dragon), qui offre à ses salariés la possibilité de présenter leurs idées, qui sont ensuite évaluées par un comité d’innovation. « Chacun de nos collaborateurs (presque mille au total) peut venir défendre une idée », explique Patrick Kestens. L’ancien fondateur de l’entreprise limbourgeoise Corda INCubator a rejoint BDO Belgium début 2022 en tant que Strategic Advisor et Senior Manager Innovation & Intrapreneurship. « Il n’y a qu’une seule condition à respecter, poursuit-il. Celui ou celle qui participe doit s’impliquer dans son projet. Le budget et le temps alloués pour sa mise en pratique sont déterminés selon le stade de développement du projet. Nous insistons sur le fait que le comité d’innovation ne juge que des idées, jamais des personnes. » Au sein de ce comité siègent également des entrepreneurs Tech externes comme Jürgen Ingels et Louis Jonckheere. Le tout premier concours Dans l’œil du dragon a notamment fait naître BDO Data Eyes, une solution numérique dédiée à l’exploitation de données. « Les membres externes du comité d’innovation nous ont indiqué que nous tenions une innovation très intéressante avec BDO Data Eyes », explique Peter Van Laer, PDG de BDO Belgium. En bref, BDO Data Eyes parvient à structurer très efficacement les données en larges groupes. Le résultat : une vision détaillée des activités commerciales et logistiques, complétée par plusieurs centaines d’indicateurs de risques et la mise en avant de toute défaillance éventuelle en matière de contrôle interne. « Nous avons décidé de l’implémenter en tant que solution interne », déclare Peter Van Laer.

Innovation incrémentale

L’exemple d’innovation que BDO met en avant se définit par une forme explicitement incrémentale, bien différente des innovations de rupture qui marquent souvent l’histoire des start-up et des scale-up. « Cette forme progressive permet aussi d’avancer », explique Patrick Kestens. « L’innovation de rupture est en soi risquée et nécessite la culture d’entreprise adéquate. L’innovation incrémentale est pour l’instant plus en phase avec la culture de BDO, qui consiste à utiliser intelligemment les capacités que nous possédons déjà. Nous les avons juste réunies de façon efficace pour les transformer en un produit utilisable. Nous travaillons dans un secteur qui évolue à un rythme raisonnable. Cela nous laisse donc de la marge pour appliquer notre démarche en matière d’innovation et offre à nos collaborateurs le temps nécessaire pour se plonger dans la recherche de nouvelles idées. »

La première édition Dans l’œil du dragon a également fait surgir un business game dans le métavers et un hub ESG. Ce n’est pas un hasard si une innovation telle que BDO Data Eyes, qui s’attache à optimiser le traitement des données, provient d’un cabinet de conseil. Les tâches que prend en charge et accélère BDO Data Eyes étaient autrefois exécutées dans un logiciel tel qu’Excel et s’accompagnaient d’un lourd travail de copier-coller. Ce niveau d’innovation permet de renforcer des postes à valeur ajoutée stratégique ou créative, comme l’évoque Peter Van Laer. « Nous évoluons vers un autre modèle économique, qui permet de transférer plus facilement la charge de travail vers d’autres pays et d’améliorer l’organisation internationale. Ce que l’on ne peut pas transférer, ce sont les personnes exécutant des tâches très spécifiques ainsi que les activités non matérielles, comme les tâches intellectuelles et créatives. Pour ces fonctions, l’organisation du travail est particulièrement importante. »

Innovation de rupture

Mais on peut se demander pourquoi l’innovation de rupture n’est pas une option pour une organisation ayant un millier de collaborateurs. Certes, cela peut moins correspondre à sa culture et les risques peuvent être plus grands, mais n’est-ce pas beaucoup plus avantageux dans un monde qui évolue rapidement ? « La question est surtout de savoir à quel point votre secteur a besoin d’une telle rupture », explique Peter Van Laer. « Dans notre secteur, la transformation numérique a commencé il y a quelques temps déjà. Nous utilisons les données d’une autre façon et en collectons bien davantage. Ces données représentent une nouvelle sorte de richesse. Pour un être humain, elles peuvent être difficiles à manipuler, contrairement aux algorithmes qui savent parfaitement quoi en faire. Au lieu de désorganiser notre secteur, il est plus utile, selon nous, d’établir des collaborations. » Peter Van Laer fait ici référence à l’entreprise fintech qu’ont fondé ensemble BDO Belgium, Van Havermaet et Vandelanotte à l’automne 2022. Baptisée AI-GUST, cette société rassemble les données issues de tous les groupes de logiciels de comptabilité existants et de différentes sources pour les soumettre à une intelligence artificielle qui génère automatiquement des tendances, des comparatifs et des conseils financiers au service des entreprises. Peter Van Laer: « La collaboration peut être plus utile que la désorganisation du secteur car elle permet de réunir les données de différents types de clients. En travaillant ensemble, on enrichit notre base de données. »

Elle est enrichie, mais aussi plus durable, comme le conclut Patrick Kestens. Il est partisan d’un processus d’innovation en continu. Une culture de l’innovation durable ne se crée pas uniquement à l’aide d’un seul concours d’idées. « L’innovation et l’intrapreneuriat représentent un processus continu. Une entreprise qui ne s’intéresse pas aujourd’hui à l’innovation annonce sa disparition du marché dans les cinq ans. Chez BDO Belgium, notre façon d’innover va également changer. Nous sommes satisfaits des résultats de notre concept Dans l’œil du dragon, mais avons aussi conscience qu’il devra évoluer au fil du temps. En tant qu’entreprise, nous désirons nous investir dans l’intrapreneuriat en créant en interne un cadre qui permet à nos talents de se développer. C’est grâce à l’état d’esprit et à la culture d’entreprise que l’on peut rester novateur. Les travailleurs sont essentiels pour parvenir à des innovations qui feront la différence sur le long terme, que ce soit dans le cadre de la transformation numérique, du big data ou de l’IA. »

Cet article est paru dans le Top 5.000, qui est disponible en PDF.