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Vision - Le transport de fret résiste, malgré le corona

Globalement, le secteur du transport a enregistré de bonnes performances au cours de l’année écoulée, avec toutefois des différences notables. Le transport routier a bien résisté à la crise tandis que le transport de personnes accuse une perte considérable de chiffre d’affaires. De plus, le transport de marchandises est confronté à des défis énormes, tels que la transition énergétique et la pénurie de chauffeurs. (Matthias Vanheerentals)

Le chiffre d’affaires du secteur a reculé l’année dernière, mais essentiellement à cause de la situation catastrophique du transport de personnes. « La crise a été désastreuse pour les taxis et les secteurs ferroviaire et aérien, avec une baisse de chiffre d’affaires pouvant atteindre -50% », dit Pascal Flisch de Trends Business Information. « Le cash-flow opérationnel a considérablement diminué dans le transport aérien (-80%) et les taxis (-40%). Ce secteur a beaucoup souffert et peine à se ressaisir. La création d’entreprises a également reculé. » En revanche, le transport de marchandises a progressé. « Le transport routier se porte bien et il a bien résisté à la crise », constate Flisch. « Le chiffre d’affaires du transport de marchandises par la route a reculé d’un peu plus de 1%. Mais le cash-flow opérationnel (ebitda) montre que le transport de fret a gagné en rentabilité : transport aérien (+25%), navigation intérieure (+15%), transport routier (+6%) et fret maritime (+21%). La solvabilité du secteur a connu une évolution favorable depuis le début de la crise. Davantage de sociétés ont une solvabilité d’au moins 25% et le nombre d’acteurs avec une solvabilité négative a diminué. Les entreprises en bonne santé sont donc plus nombreuses qu’auparavant. Le nombre de nouvelles sociétés a augmenté depuis le coronavirus. »

Febetra confirme cette tendance positive. « Nous ne nous plaignons pas et nous avons bien résisté à la crise », estime le CEO Philippe Degraef. « Évidemment, les professionnels qui travaillaient uniquement pour le secteur événementiel se sont retrouvés sans travail. En revanche, le Brexit n’a pas tourné à la catastrophe, comme tout le monde l’annonçait ». La société de transport Corneel Geerts à Wijnegem a constaté une hausse de 10% de son chiffre d’affaires et du nombre de transports journaliers. « Mais le prix du diesel a atteint un niveau record et les coûts salariaux ont augmenté », précise le transporteur Marc Geerts. « Je n’ai pas l’impression que nous avons mieux gagné notre vie. Toutefois, la valeur ajoutée que nous offrons est plus appréciée qu’avant la crise. Nos clients se montrent plus soucieux de la qualité de nos services, de la façon dont nous traitons notre personnel et de la manière dont nous abordons nos émissions de CO2. Auparavant, il était uniquement question du prix, ce qui apparaissait un peu irrespectueux. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. » Transport en Logistiek Vlaanderen (TLV) remarque aussi que la crise sanitaire a amélioré l’attitude envers les transporteurs routiers. « Pendant des années, c’est le client final qui déterminait le prix du transport dans le secteur », dit le directeur Lode Verkinderen. « C’est comme si vous fixiez vous-même le prix du pain chez le boulanger. Mais la donne a changé. Cependant, les marges sont comprimées par la hausse des coûts. L’augmentation des prix du carburant se poursuivra au cours des prochains mois. L’année dernière, le retour des bouchons sur les routes a freiné les camions et pesé sur le rendement des transporteurs. »

Transition énergétique

Le climat est aussi une thématique importante dans le monde du transport. « Aujourd’hui, nous dépendons entièrement du diesel fossile et nous n’atteindrons donc pas les objectifs climatiques », constate Philippe Degraef. « Nous croyons en un mix énergétique. Pour les courtes distances en ville, l’électricité est la technologie la plus indiquée. Pour les longues distances, ce sont l’hydrogène et le biogaz. Les transporteurs doivent envisager d’autres formes d’énergie, comme l’électricité, le biogaz, l’hydrogène et le diesel non fossile. Cela coûtera un paquet d’argent. Malheureusement, ces véhicules sont encore peu nombreux sur le marché. Si les constructeurs ne les fabriquent pas, nous ne pouvons pas les acheter. De plus, l’infrastructure de recharge et de ravitaillement doit atteindre une taille suffisante. À l’heure actuelle, il est impossible d’obtenir un Total Cost of Ownership (TCO) en équilibre. L’option électrique coûte 4 à 5 fois plus. Les clients des transporteurs sont partisans d’un transport durable mais, hormis quelques exceptions, ils ne sont pas prêts à payer plus pour l’obtenir. Sans subventions, cette percée écologique n’aura pas lieu. En Allemagne, les subsides peuvent atteindre 80% et aux Pays-Bas 40%. À terme, le risque existe que tous ces véhicules zéro émission circulent surtout à l’étranger. » L’UPTR affirme que le secteur est prêt à prendre des mesures écologiques. « Mais les décisions doivent rester ancrées dans la réalité », dit le conseiller juridique, Ronald Tiebout. « Actuellement, il serait irréalisable sur le plan économique et technologique de renoncer complètement aux combustibles fossiles et d’adopter uniquement des véhicules zéro émission. Cette transition nécessitera l’appui des autorités. » Selon Lode Verkinderen de TLV, le transport doit faire beaucoup plus d’efforts que d’autres secteurs. « Toute augmentation de 1% du PIB entraîne une croissance de 1,5% du transport. Pour réduire nos émissions de CO2 dans un contexte de croissance économique, nous devons consentir à un effort deux fois plus grand. »

Actuellement, des sociétés de transport ont déjà entamé leur transition verte. Au printemps 2021, CMB.TECH a lancé le camion dual fuel à hydrogène. Ce véhicule peut utiliser l’hydrogène comme carburant dans un moteur diesel transformé. Il consomme ainsi jusqu’à 80% de diesel en moins et produit moins de CO2. En utilisant la propulsion et le moteur au diesel existants, les coûts d’investissement de ce camion peuvent être limités à 1/3 d’une alternative zéro émission. Avec un plein d’hydrogène complet, le véhicule dispose d’une autonomie de 500 kilomètres et, si nécessaire, il peut encore parcourir 3.000 kilomètres au diesel. Depuis quelques mois, Van Moer Logistics utilise le camion dual fuel à hydrogène. « Je crois à 200% dans cette technologie, qui est nouvelle et accessible », dit Jo Van Moer, fondateur et CEO de Van Moer Logistics. « Elle est tout à fait comparable à un camion hybride. Le confort de conduite est le même que dans un véhicule au diesel. Cela nous coûte davantage, mais nos clients sont prêts à payer plus pour le transport. On finira par atteindre 100% d’hydrogène et d’électricité, mais cette technologie n’est pas encore réaliste aujourd’hui. Les points de ravitaillement sont trop peu nombreux et le réseau électrique serait saturé. » CMB.TECH a déjà modifié 10 camions et une cinquantaine de camionnettes. Aujourd’hui, l’entreprise dispose d’une seule station à hydrogène dans le port d’Anvers.

De l’importance de l’innovation

VIL, la plateforme de l’innovation pour la logistique en Flandre, souligne à quel point l’innovation est essentielle. « En investissant dans l’automatisation et la digitalisation, il est possible de réduire les coûts, mais aussi de gagner en efficacité et en productivité », affirme la directrice générale Liesbeth Geysels. « En 2020, l’innovation a généré 14,42 milliards d’euros de valeur ajoutée parmi les membres d’un cluster. Beaucoup de transporteurs routiers possèdent un entrepôt où il est possible d’investir dans des nouvelles technologies telles que les Automated Guided Vehicles (AGV) ou le vision picking avec l’utilisation de lunettes intelligentes par le préparateur de commandes. De quoi faire la différence entre les meneurs et les suiveurs. » Patrick Aertsen, directeur général de LogiVille, le centre de démonstration et d’expérimentation pour l’innovation logistique créé par la VIL, recommande au secteur d’avoir l’œil sur les évolutions innovantes. « Les transporteurs ont tout intérêt à suivre ces innovations avec attention parce que leurs coûts augmenteront à terme. Tout secteur devrait se préoccuper du changement et de l’innovation, et de l’impact qu’ils auront sur le business model actuel de l’entreprise. Mais nos autorités, au niveau national et européen, doivent également intervenir sur le plan législatif. Des applications innovantes apparaissent rapidement. L’absence de législation européenne harmonisée pour le transport international serait néfaste pour l’essor de notre économie. Une entreprise dépense en moyenne 10% de son chiffre d’affaires pour le marketing. Chaque société devrait également consacrer 10% de son chiffre d’affaires à l’innovation au sens large. Le consommateur se montre plus critique. Il veut savoir comment son produit est fabriqué, emballé, transporté, etc. La blockchain offre ces possibilités et le secteur du transport va devoir participer à cette évolution. Le client final, qui est toujours le consommateur, deviendra de plus en plus important. C’est également la raison d’être de LogiVille : familiariser le secteur avec toutes les facettes de l’innovation dans notre espace de démonstration. »

Pénurie de chauffeurs

Depuis des années déjà, le manque de chauffeurs constitue un autre grand défi auquel le transport est confronté. Apparemment, le problème ne fait que s’aggraver. « La pénurie sur le marché du travail est sans précédent », constate Lode Verkinderen de TLV. « Cette année encore, elle augmentera dans toute l’Union européenne. » D’après le Fonds Social Transport et Logistique (FSTL), il y a actuellement 5.000 postes de chauffeur à pourvoir en Belgique. En plus de tous les budgets déjà libérés par le secteur, 100 permis de conduire gratuits seront distribués cette année. Le secteur y consacrera un montant de 700.000 euros. « La formation pour le permis de conduire CE coûte près de 7.000 euros et sera donc entièrement financée par le secteur », annonce Geert Heylen, Directeur de la formation au FSTL. « Nous effectuons une large sélection. Nous devons vraiment croire dans le candidat. Nous menons une campagne active sur les réseaux sociaux et nous tentons ainsi d’attirer des entrants indirects. »

Frein pour la croissance

Selon Febetra, la pénurie de chauffeurs a un impact. « La demande de transport est supérieure à l’offre », dit Isabelle De Maegt, porte-parole de la Febetra. « Les camions sont à l’arrêt parce qu’il n’y a pas assez de chauffeurs. Beaucoup de chauffeurs ont plus de 45 ans de sorte que le nombre de sorties ne cesse d’augmenter par rapport aux entrées dans la profession. Les recherches sont plus difficiles, certainement parce que de nombreux secteurs sont à la recherche de main-d’œuvre. Dès lors, les sociétés de transport ne peuvent pas poursuivre leur croissance. Cela finira par impacter les commerces et les sociétés. » « Des camions sont à l’arrêt chez tous les grands acteurs », constate Lode Verkinderen de TLV. « C’est un frein énorme à la croissance du secteur logistique. »

Marc Geerts souffre également du manque de chauffeurs. « Nous ne pourrons concrétiser notre croissance que si nous pouvons y affecter du personnel capable de répondre aux attentes. Nous recevons énormément de demandes de clients. Depuis peu, nous roulons aussi de nuit ce qui nécessite la présence de personnel de nuit. En plus des chauffeurs, nous avons du mal à trouver des techniciens, des planificateurs et des spécialistes IT formés aux dernières innovations numériques. » Selon l’UPTR, le plus important est d’améliorer l’image du secteur. « Cette image négative a notamment pour conséquence qu’il est difficile d’enthousiasmer des candidats pour une carrière dans le secteur », dit Ronald Tiebout. « Nous manquons donc de sang neuf depuis des années déjà et nous devons compter sur un nombre de chauffeurs toujours plus âgés. Malgré cette pénurie, nous ne manquons pas d’entrepreneurs prêts à franchir le pas et à se lancer dans le secteur. Le nombre de sociétés de transport augmente année après année. La plupart sont de petits indépendants. En effet, depuis des décennies, le secteur se compose essentiellement d’entrepreneurs débutants et d’anciennes entreprises familiales. Cela démontre bien l’importance du secteur. »

Trajets de cabotage

La modification des règles du cabotage constitue un autre défi pour le secteur du transport. Le cabotage est le transport de marchandises ou de passagers entre deux points dans le même pays par une société étrangère. Désormais, le nombre de trajets de cabotage autorisé pour les camionneurs dans un autre État membre est limité. « La nouvelle législation européenne stipule qu’après trois trajets de cabotage, il faut respecter quatre jours de carence », explique Isabelle De Maegt. « Pendant quatre jours, les transporteurs ne peuvent plus faire de cabotage et doivent opérer d’autres types de transport. Ils perdent ainsi une partie du potentiel de travail. La mesure a surtout été instaurée pour protéger le marché des transporteurs français. Il est donc possible que nos transporteurs se rendent moins en France, ce qui peut s’avérer problématique. »

Une autre nouveauté importante est le retour obligatoire de chaque camion dans son pays d’origine après huit semaines maximum. Aujourd’hui, ce délai est d’un an seulement. « Cette mesure va restaurer et rectifier la concurrence », prévoit Lode Verkinderen. « Elle donnera du répit aux transporteurs d’Europe de l’Ouest. » Pour l’UPTR, la plus grande incertitude est l’évolution de la crise du coronavirus. « Et surtout les différentes réglementations adoptées en Belgique et dans les pays voisins », dit Ronald Tiebout.


Cet article est paru dans le Top Transport, qui est disponible en PDF.

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