Ressources humaines - Une question de confiance
Plus la pénurie sur le marché du travail se fait ressentir, plus il devient urgent de réintégrer les malades de longue durée et de promouvoir une culture d’entreprise inclusive. Quelles nouvelles approches les politiques et les entreprises peuvent-ils adopter pour progresser sur ces deux axes ? Wouter Temmerman
La priorité accordée à la stimulation du taux d’emploi est justifiée et utile à bien des égards, mais il convient de ne pas se focaliser outre mesure sur des indicateurs purement quantitatifs en termes de taux d’activité. » Cette affirmation est issue d’une analyse publiée fin juin par Steunpunt Werk sur les moyens d’atteindre un taux d’emploi de 80 %. Le rapport nous rappelle toutefois aussi que la pérennisation du marché de l’emploi n’est pas une simple course aux chiffres. « Le but ultime n’est pas d’atteindre un taux d’emploi de 80, 82 ou 85 %, mais de construire une société où chaque individu, y compris les plus vulnérables et ceux dont le profil professionnel est moins évident, peut contribuer pleinement à la vie économique », écrivent les auteurs Gert Theunissen et Sarah Vansteenkiste. Un message sans ambiguïté adressé aux négociateurs du gouvernement qui venaient alors d’entamer leurs pourparlers. Au-delà de la simple course aux chiffres, certaines actions visent notamment à activer les personnes en âge de travailler n’exerçant aucune activité professionnelle. L’organisation a déjà plaidé pour une approche qui ne se concentre pas uniquement sur les incitations financières, mais qui privilégie « un travail réfléchi et transpolitique visant à lever les obstacles auxquels ces groupes sont confrontés ».
Confiance sans ordonnance
Ce point de vue trouve de plus en plus d’écho dans la société, surtout lorsqu’il s’agit de l’activation, ou plutôt de la réintégration, des malades de longue durée. Dans son livre intitulé « Vertrouwen zonder voorschrift » (« Confiance sans ordonnance ») paru début novembre, Lode Godderis, CEO d’IDEWE, préconise, dans le cadre de la réintégration des travailleurs en incapacité de longue durée, une approche davantage basée sur la confiance. « Notre politique vise principalement à ériger des barrières pour empêcher les mauvaises personnes d’entrer dans le système d’allocations », observe Lode Godderis. « Cette politique, loin d’être réellement efficace, crée une connotation négative. Il me paraît plus logique d’inverser l’approche et de ne pas se focaliser sur les pommes pourries du panier. Se concentrer sur les solutions qui fonctionnent et les déployer à plus grande échelle est une approche plus constructive qui crée une dynamique positive. Nous avons cette chance, car il ne faut pas oublier que de nombreux malades de longue durée font tout leur possible pour se réinsérer sur le marché du travail. » Lode Godderis souligne que 500.000 personnes sont absentes pour maladie depuis plus d’un an et pratiquement autant entre un mois et un an. Parmi elles, il existe selon le CEO une grande diversité de situations qui ne se prêtent pas à des remèdes simplistes. « Les solutions toutes faites comme la limitation des allocations dans le temps, telles qu’évoquées lors des négociations gouvernementales, s’inscrivent dans une politique de sanction. Je pense que nous devons avant tout accompagner ces personnes. Le travail adapté individuel, initiative axée sur les collaborateurs atteints d’un handicap au travail, est une excellente initiative mais avant d’être éligible, vous devez démontrer tout ce que vous ne pouvez plus faire. Renversons la situation et voyons ce qu’il faut faire pour franchir les obstacles. »
Incitations
Dans son ouvrage, Lode Godderis distingue les phases clés d’une absence de longue durée (aiguë, subaiguë et chronique) et propose, pour chacune d’entre elles, des approches adaptées pour les décideurs politiques, les médecins, les prestataires de soins, les employeurs et les collègues. En ce qui concerne les entreprises, il souligne l’utilité de tenir compte de la taille de l’entreprise et l’importance de limiter, surtout dans les petites entreprises, la charge administrative liée au processus de réintégration. « La demande de certificat médical ne facilite absolument pas le dialogue sur le retour au travail et est au contraire perçue comme un manque de confiance de la part de l’employeur. Les études montrent que la suppression des certificats médicaux a un effet positif ou, dans le pire des cas, n’a pas d’effet. Il n’y a donc aucune raison de les maintenir. » En contrepartie, Lode Godderis défend l’idée d’augmenter les incitations pour rendre le retour au travail plus attractif. Aux Pays-Bas, l’employeur garantit deux ans de salaire en cas d’incapacité de travail, contre un mois en Belgique. « Je ne plaide pas pour deux ans de salaire garanti, mais nous devons réfléchir à des incitations financières pour encourager le retour à l’emploi. Certains dirigeants hésitent à aborder le sujet avec leurs collaborateurs. Est-ce leur rôle ? Bien sûr, dans une situation normale entre personnes, on maintient le contact. Le but n’est pas de parler du diagnostic, mais de l’impact sur le fonctionnement de l’équipe et de l’organisation. Ce type d’entretien peut être encouragé au niveau politique. »
Tout le monde y gagne
Un appel à plus d’empathie et de confiance émerge également lorsqu’on passe d’une vision axée sur la réintégration des malades de longue durée à une perspective centrée sur l’inclusion des personnes avec un handicap sur le marché du travail. Ici aussi, il s’agit d’un groupe particulièrement hétérogène qui ne se prête pas à des formules clé en main. De plus en plus au cœur des discussions, les travailleurs neurodivergents présentent des profils atypiques. Chaque lieu de travail est un lieu de neurodiversité, ce qui signifie qu’au sein d’un groupe de travailleurs, des cerveaux aux fonctionnements variés cohabitent. Un cerveau qui diffère de ce que notre société considère comme la norme est neurodivergent. Cette grande diversité de profils inclut notamment des travailleurs atteints de dyslexie, de TDAH, d’autisme ou encore des travailleurs à haut potentiel ou hypersensibles.
L’intérêt pour l’inclusion des travailleurs neurodivergents ne cesse de croître, reconnaissent Karin Nauwelaerts de Perspectief Coaching et Ilse Van den Daele de HSP Vlaanderen, l’association des personnes hypersensibles. « Le marché du travail actuel a cruellement besoin des compétences des personnes neurodivergentes », souligne Karin Nauwelaerts. « Les chefs d’entreprise doivent comprendre que leur inclusion est essentielle. On estime que l’hypersensibilité concerne 15 à 20 % des gens. L’inclusion est un levier puissant d’optimisation des performances de votre entreprise par la valorisation de la diversité des talents. »
À la question de savoir comment les employeurs peuvent s’y prendre concrètement, Ilse Van den Daele et Karin Nauwelaerts donnent quelques exemples pour le neurotype de l’hypersensibilité. Les hypersensibles excellent par exemple dans la résolution de problèmes et la perception rapide des dynamiques de groupe. Pourtant, ces compétences sont souvent négligées parce que leur nature silencieuse et observatrice est souvent confondue avec la passivité. « En réunion, les hypersensibles peuvent sembler plus réservés, mais ce sont souvent eux qui perçoivent les liens les plus profonds et décèlent les détails importants », explique Ilse Van den Daele. Le rôle des managers est de leur poser plus souvent des questions et de veiller à ce que leurs voix soient également entendues.
Ces collaborateurs sont également plus sensibles aux stimuli externes, ce qui peut entraîner une surstimulation et du stress. « Un environnement de travail qui favorise la sécurité psychologique et tient compte des besoins professionnels de chacun est essentiel à l’épanouissement de ce type de profils », précise Karin Nauwelaerts. « Il faut par exemple leur offrir la possibilité de travailler dans des espaces dédiés à la concentration ou de bénéficier d’aménagements horaires flexibles ».
Face à la grande diversité des neurotypes et celle encore plus grande des personnes en situation de handicap sur le marché du travail, la question de l’encadrement adapté à chaque profil peut se poser. « L’essentiel est de créer une culture d’entreprise inclusive dans laquelle la diversité des travailleurs est valorisée », déclare Ilse Van den Daele. « Les mesures destinées à aider les 20 % de personnes hypersensibles bénéficient à l’ensemble du personnel. Un environnement professionnel qui respecte les besoins individuels de chacun est avantageux pour tous. »
Autonomie et responsabilité
En matière de réintégration des malades de longue durée comme en matière d’inclusion des profils neurodivergents, outre les interventions politiques, le principal facteur de succès reste le leadership au sein des entreprises. Un leadership qui place l’empathie et la confiance au cœur de son approche crée une culture dans laquelle les travailleurs se sentent soutenus et en sécurité, tant sur le plan psychologique que sur le plan professionnel. Mais comment mettre ce leadership en œuvre pour répondre aux deux enjeux concrets de notre marché du travail ? Nous avons posé la question à Robert Vliegen qui s’est empressé de parler d’autonomie et de responsabilité. Mieux connu sous le pseudonyme de « Fly » grâce à l’émission « Kamp Waes », Robert Vliegen partage régulièrement son expertise en leadership lors de conférences destinées aux entreprises. « La confiance est primordiale », affirme-t-il. « Lorsque vous confiez des responsabilités, la confiance va dans les deux sens, du manager au collaborateur, et inversement. » Il rappelle cependant que la confiance n’est pas synonyme de liberté totale : « L’autonomie et la liberté sont deux choses différentes. L’autonomie, en offrant au collaborateur une marge de manœuvre pour accomplir ses tâches, favorise l’implication. » Pour les entreprises qui craignent l’impossibilité de créer un environnement de travail adapté à chaque travailleur, les Forces spéciales sont évidemment un cas d’école intéressant. Leur mission est d’obtenir des résultats de manière efficace et ciblée, et ce, dans un contexte chaotique de crises et de conflits. Cela laisse-t-il place à une grande autonomie ? « Dans ce monde impitoyable, il est également permis de formuler des critiques directes », explique Fly, « à condition qu’elles soient constructives et visent à améliorer l’unité ou l’objectif. D’un autre côté, nous prenons énormément soin de notre personnel. Nous avons un programme de performance humaine et sommes attentifs au bien-être psychologique, avec des psychologues qui offrent un garde-fou psychosocial. Nous visons l’excellence dans une culture d’ouverture, d’initiative, d’autonomie et de créativité. »
Confiance en période de marché du travail sous tension
Qu’il s’agisse de réintégration, d’inclusion ou de bon leadership : la confiance se révèle de plus en plus souvent un élément crucial pour garantir le succès. Mais comment la préserver dans un contexte où la pénurie de talents peut inciter les entreprises à être moins sélectives pour répondre à leurs besoins de main-d’œuvre ? Comment garantir le même niveau de confiance que dans un contexte où seuls des profils pointus sont recrutés ? Fly porte un regard nuancé sur cette question : « Lorsque vous confiez une tâche à un travailleur, vous avez généralement certaines attentes. Vous partez du principe qu’il va accomplir la tâche d’une certaine manière ou dans un délai imparti. Mais la vraie confiance consiste aussi à lâcher prise, à prendre du recul. » À ses yeux, la notion de confiance s’oppose à la microgestion. Il s’agit de permettre à chacun d’assumer ses responsabilités comme il l’entend. Fly admet toutefois que même dans un contexte de marché tendu, la qualité des profils reste un facteur essentiel. « Nous avons le luxe de pouvoir sélectionner rigoureusement nos collègues, mais malgré la crise, toutes les entreprises doivent opérer une certaine sélection. Il faut savoir qui est capable d’assumer cette confiance ou cette responsabilité. »