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Ports belges : L’avenir semble se complexifier

Les ports belges ont traversé une mauvaise année. À Anvers-Zeebruges comme à Gand, le transbordement de marchandises a accusé un solide recul en 2023. L’économiste maritime Theo Notteboom discerne plusieurs explications et prévient qu’il serait trop facile d’y voir uniquement l’impact de la guerre en Ukraine. - Filip Michiels

Malgré l’invasion russe en Ukraine, qui a provoqué une perturbation des flux commerciaux internationaux et une explosion des prix de l’énergie, les performances des ports sont restées assez bonnes en 2022. Les chiffres pour 2023 semblent beaucoup moins florissants.

Theo Notteboom : C’est exact. En 2022, nous avions observé des tendances positives et négatives, de sorte qu’au final, le bilan restait satisfaisant. L’année dernière, par contre, n’a été favorable ni pour Anvers-Zeebruges ni pour Gand. En effet, les deux ports présentent aujourd’hui des résultats dégradés sur toute la ligne. À Anvers-Zeebruges, le transbordement total de marchandises a reculé de 5,5 % l’année dernière, tandis que le nombre de navires de mer entrés dans les deux ports a diminué de plus de 4 %. Le port gantois a même pris une raclée de 11 %. L’explication réside en grande partie dans le déclin très marqué du commerce avec la Russie (en recul de pas moins de 42 %) et l’Ukraine. Dans les deux ports, nous constatons que le vrac sec notamment a connu un sérieux revers. À Anvers-Zeebruges, le trafic de conteneurs s’est aussi quelque peu dégradé. Mais le phénomène touche toute l’Europe. À Anvers, le recul était de 7,2 % tandis que la perte atteignait même 15 % au Havre. Je m’attends à une diminution similaire à Rotterdam et à Hambourg, des ports pour lesquels nous ne disposons pas encore de chiffres annuels définitifs. À Anvers, il va de soi que la perte de compétitivité du secteur chimique a produit un impact négatif significatif sur les chiffres de 2023. En raison des prix élevés de l’énergie, de la faible demande et de la politique américaine très proactive pour attirer des investissements étrangers, ce secteur a beaucoup souffert chez nous, ce qui a inévitablement aussi beaucoup influencé les autres flux de marchandises dans le port anversois. Mais tout ne s’est pas réduit à une succession de déconvenues pour les ports belges. Parmi les résultats notables, il y a la note positive apportée par le commerce automobile, qui a véritablement rebondi l’année dernière, après une année 2022 décevante. Nous le devons, entre autres, à la disponibilité accrue des puces électroniques, qui a permis de remettre la production automobile sur les rails à l’échelle globale.

Nos ports sont-ils confrontés actuellement aux répercussions des crises majeures des dernières années ou d’autres facteurs sont-ils aussi à l’œuvre ?

C’est le cas, en effet, et pour le constater, il faut surtout se tourner vers la Chine. Depuis le début du siècle, ce pays s’est révélé le véritable moteur des exportations mondiales. Anvers et Zeebruges, en particulier, en ont profité pleinement. Désormais, nous constatons que la Chine devient moins dépendante de ces exportations. Son modèle de croissance s’appuie toujours plus sur le secteur des services et sur une demande intérieure en progression. À terme, la Chine deviendra donc aussi un peu moins dépendante de l’Europe et des USA. Le pays ne cesse de diversifier ses exportations en direction d’autres marchés émergents, tels que le Vietnam ou le Bangladesh, où il investit massivement dans les capacités de production.

Nous voyons que l’économie chinoise traverse une zone de turbulence et que la demande intérieure ralentit. Cette évolution pourrait-elle relancer les exportations vers l’Europe, et donc vers nos ports ?

Je crains que les exportations vers l’Europe ne retrouvent plus jamais le poids relatif qu’elles atteignaient il y a environ 5 ans. L’importance de la Chine pour nos ports diminuera donc progressivement, mais ils peuvent évidemment aussi miser sur un certain nombre de nouveaux pays émergents, qui vont à leur tour exporter davantage. À cet égard, le constat dressé par la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement) est particulièrement intéressant car elle a observé pour la première fois l’année dernière une corrélation claire entre le contexte géopolitique, d’une part, et les flux commerciaux mondiaux, d’autre part. Concrètement, les échanges entre des pays appartenant à un même bloc géopolitique augmentent actuellement plus rapidement que les échanges entre des blocs différents. La géopolitique joue donc un rôle toujours plus important dans les flux commerciaux internationaux.

À propos de géopolitique, le port de Zeebruges a fortement misé ces dernières années sur le développement du terminal GNL, mais l’acheminement de GNL russe vers l’Europe et le rôle de Fluvius, notamment, dans ce contexte, semblent d’autant plus sensibles politiquement. Cela pourrait-il constituer une menace à terme pour la croissance future de ce port ?

Je ne surestimerais pas cet impact. Le marché gazier est assez flexible et, de toute façon, nous avons aussi besoin de gaz GNL en Europe. Si l’acheminement de gaz russe devait s’arrêter, je pense que le Qatar ou les USA s’empresseraient de combler le vide.

Nous constatons également que les échanges commerciaux internationaux se diversifient de plus en plus, avec des pays comme l’Inde, la Turquie et certains États africains qui gagnent fortement en importance. Est-ce une bonne nouvelle pour les ports belges ? Et sont-ils prêts à assumer cette diversification ?

Nous assistons, en effet, à un morcellement du paysage économique. Il en résulte que la situation se complexifie un peu pour les ports d’Anvers ou de Zeebruges (qui ont fortement compté sur le trafic de conteneurs provenant d’Extrême-Orient pendant des années). Des opportunités se présenteront aussi pour d’autres ports européens au cours des prochaines années. Heureusement, le port d’Anvers possède une activité conteneurs très diversifiée, avec par exemple une position très solide dans le commerce avec des pays africains, mais aussi avec l’Inde ou le Pakistan notamment. C’est beaucoup moins le cas pour Rotterdam et Hambourg. En termes de connexions, Anvers garde donc une longueur d’avance pour le moment. J’ai parfois l’impression que les dirigeants de nos ports misent énormément sur la transition énergétique (avec raison d’ailleurs) et sur tout le domaine de la durabilité, mais qu’ils le font un peu au détriment des flux commerciaux existants. Ces derniers ont fait la grandeur de ces places portuaires et sont à présent plus ou moins considérés comme « normaux » et donc acquis pour toujours. Nous ne devons surtout pas tomber dans ce piège.

Après la pandémie, il y a eu une prise de conscience dans toute l’Europe que nous devions recommencer à produire les produits essentiels plus près de chez nous. Si cette production reprend principalement dans des pays à bas salaires en Europe de l’Est, ne risquons-nous pas de voir certains flux de marchandises se déplacer ou emprunter davantage la route. N’y aurait-il pas là aussi un risque pour les ports belges ?

L’importance des ports de l’Europe occidentale est due en partie au poids économique de cette région, tant en termes de production que de consommation. Avec les centres de distribution associés. Si des pays tels que la Pologne, la Hongrie ou la Turquie gagnaient fortement en importance comme centres de nearshoring, nous assisterions en effet à un déplacement de certains flux de marchandises vers des ports polonais, turcs ou même adriatiques. Dans ce cas, les flux de distribution changeraient inévitablement aussi dans toute l’Europe, et l’importance de notre région comme principal centre de distribution de l’Europe pourrait décliner.

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