Ports belges - Armés pour l’avenir ?
Particulièrement mouvementée, l’année 2022 entrera dans les annales de nos ports. Et pourtant, North Sea Port a enregistré ses meilleurs résultats, tandis que ceux du tout nouveau port fusionné d’Anvers-Zeebruges sont restés stables. Christa Sys, spécialiste portuaire de l’université d’Anvers, prévient cependant qu’ils ne pourront pas se reposer sur leurs lauriers. (Filip Michiels)
Une guerre dévastatrice sur le continent européen, des chaînes d’approvisionnement qui devaient encore se reconstituer après le coronavirus, une explosion des prix de l’énergie et des sanctions économiques très lourdes à l’encontre de la Russie : 2022 a été en tous points exceptionnelle. Et si les conséquences de la guerre en Ukraine se sont fait plus particulièrement sentir au port d’Anvers- Zeebruges, North Sea Port vient de vivre une année extraordinaire. À Anvers-Zeebruges, le trafic en lien avec la Russie a plongé de 59 %. Le transbordement total de marchandises est resté plus ou moins stable par rapport à 2021, mais c’est le trafic de conteneurs qui a encaissé le plus gros du choc. Parallèlement, le vrac liquide a progressé de 10 %. Cette hausse notable est imputable avant tout à la très forte croissance du transbordement de GNL, qui l’année dernière, s’est affirmé avec de plus en plus d’insistance comme alternative au gaz naturel transporté par gazoduc depuis la Russie.
North Sea Port, le port fusionné de Gand, Vlissingen et Terneuzen, peut dès lors publier les meilleurs chiffres jamais enregistrés cinq années après sa création. Le vrac sec (charbon, engrais, etc.), qui constitue depuis des années son grand point fort, s’est particulièrement bien porté. Mais comme à Anvers et Zeebruges, le trafic de conteneurs a cédé un peu de terrain. L’impact de la guerre en Ukraine s’est fait sentir jusqu’ici : pour North Sea Port, la Russie n’est plus le principal partenaire commercial pour le transbordement de marchandises transportées par voie maritime. La part russe s’est contractée de 15 % et les États-Unis sont passés en tête.
« Les très beaux chiffres de North Sea Port sont remarquables, mais ne peuvent évidemment pas être dissociés de toutes sortes de facteurs géopolitiques », affirme Christa Sys, spécialiste portuaire de l’université d’Anvers. « Le commerce du vrac sec et liquide a connu l’année dernière une croissance énorme grâce à la crise de l’énergie. North Sea Port se spécialise dans ce segment depuis des années. Contrairement à Anvers-Zeebruges, il est aussi beaucoup moins axé sur les conteneurs. Si nous examinons plus en détail les chiffres de nos ports en 2022, nous remarquons que l’impact des sanctions européennes contre la Russie s’est alourdi chaque trimestre. Surtout dans le segment des conteneurs. Si le port d’Anvers- Zeebruges a vécu une année en demi-teinte, c’est dû principalement à ces sanctions et à leur impact, qui variait fortement d’un flux de marchandises à l’autre. » Christa Sys y voit la confirmation d’un point qu’elle observe depuis longtemps : dans les années à venir, nos ports devront se différencier beaucoup plus encore dans leurs flux de marchandises, ce qui réduira aussi sensiblement leur vulnérabilité.
Une année 2023 difficile
La fin de la guerre en Ukraine n’est pas pour tout de suite et la probabilité est grande que les sanctions européennes contre la Russie auront tendance à se renforcer plutôt qu’à s’alléger. North Sea Port sent bien qu’il y a toujours de l’orage dans l’air : le port table sur une année 2023 moins bonne que 2022. Pour Anvers-Zeebruges, 2022 a été la première année complète d’activité après la fusion des deux ports et ce qui importe avant tout, c’est la plus-value que la poursuite de leur intégration peut générer dans les prochaines années. « De nouvelles sanctions économiques éventuelles, mais aussi la contraction de la croissance économique mondiale (et donc de la demande mondiale) risquent d’impacter négativement nos ports en 2023 », explique Christa Sys. « Ce sont surtout les deux premiers trimestres de 2023 qui s’annoncent difficiles. Quant à ce que l’avenir apportera à plus long terme, c’est compliqué à prévoir pour l’instant. »
Christa Sys rappelle encore que le terminal à conteneurs Cosco à Zeebruges n’a pas vraiment fait des étincelles l’année dernière, alors qu’à Rotterdam, la concurrence a progressé de 6 %. « Au Moyen-Orient ou en Inde, des terminaux comparables font état de chiffres particulièrement bons en 2022, avec des taux de croissance de 20 % ou plus. Ce qui est quelque peu inquiétant. Cela suggère des déplacements régionaux plus importants de trafics spécifiques et je n’ai pas l’impression que nos ports s’en préoccupent suffisamment à l’heure actuelle. L’Inde, le Vietnam, la Thaïlande, mais aussi l’Afrique ou l’Amérique latine : c’est là que se trouvent les nouveaux marchés en expansion. Je crains que nos ports s’endorment sur leurs lauriers et comptent un peu trop sur leurs marchés habituels. À plus long terme, cette attitude peut se révéler dangereuse. La mondialisation n’est pas morte, nous constatons notamment une diversification beaucoup plus poussée. J’espère donc que nos ports vont prendre le train en marche, le plus vite possible. »
Nouveaux flux de marchandises
Pour le port fusionné d’Anvers-Zeebruges, l’année 2022 a été un véritable baptême du feu : l’impact positif de cette fusion se marque-t-il déjà dans les résultats ? « En fait, c’est avant tout une question administrative au niveau des autorités portuaires », explique Christa Sys. Sur le terrain, j’observe encore très peu de changements pour le moment. Quant à la valeur ajoutée de la fusion sur le plan économique, nous n’en voyons pas les effets à ce stade. C’est aussi très compliqué de comparer les résultats actuels à la situation précédente parce que les chiffres de chacun des ports ne sont plus publiés. Il ne nous reste plus qu’à espérer que le fait qu’ils s’expriment désormais d’une seule voix sur la scène internationale puisse aussi générer un nouveau trafic ou d’autres flux de marchandises à terme. »
La navigation intérieure belge n’échappe pas aux vents contraires
Ces dernières années, le monde politique a fortement mis l’accent sur l’importance croissante de la navigation intérieure, une alternative écologique au transport routier. Sur ce front, il y a peu de nouvelles positives à signaler, c’est même le contraire. « Les chiffres donnent envie de pleurer », confirme Christa Sys. « En 2017, la navigation intérieure dans notre pays a atteint son plus haut niveau, mais depuis, sa part de marché n’a fait que baisser. C’est probablement dû en partie au contexte géopolitique : un grand nombre de bateaux de rivière ont été vendus à des entreprises d’Europe de l’Est qui les utilisent pour faire sortir les céréales d’Ukraine. Par ailleurs, beaucoup de bateliers partent en Allemagne, où ils peuvent gagner des sommes folles avec le transport de charbon dans le contexte de la crise énergétique. Je reste néanmoins positive à plus long terme : le transport routier se heurte à une pénurie croissante de chauffeurs, ce qui devrait donc jouer en faveur de la navigation intérieure et du rail. »
Cet article est paru dans le Top Transport qui est disponible en PDF.