Logement durable rime toujours plus avec location durable
Alors que les prix de la construction durable s’envolent, notre marché glisse toujours plus vers un modèle locatif pour maisons et appartements économes en énergie. L’appui de fonds et d’investisseurs institutionnels est à cet égard plus que nécessaire. (Wouter Temmerman)
La fourchette de prix généralement avancée pour un nouveau projet de construction est de 1.800 à plus de 2.000 euros, TVA et frais d’architecte inclus. Les maîtres d’œuvre qui investissent dans un logement aussi durable que possible se situent plutôt au sommet de cette fourchette. Comme chacun le sait, le prix élevé des matériaux explique le coût actuel de la construction. Une enquête menée par iVox en 2022 a montré qu’un peu plus de la moitié des Belges (53 %) estimaient qu’un projet de construction ou de transformation n’était pas une bonne idée en raison de la pression sur les prix.
La perte d’attractivité de la construction et, par extension, de la construction durable a un impact sociétal important. Si les clients fortunés sont les seuls à pouvoir encore se payer l’accès à un logement durable, la transition nécessaire vers une société dans laquelle chacun pourra se loger plus durablement s’en trouve entravée. C’est aussi le constat que font de plus en plus de promoteurs. « Il est devenu plus difficile pour des travailleurs actifs ordinaires d’acquérir un logement de construction durable », dit Frank Reekmans, directeur général de Wolf Invest, qui a mis 69 nouveaux appartements durables sur le marché locatif à Anvers, sur la Van Den Hautelei, à la fin de l’année dernière. « Si l’on compare le prix au mètre carré à celui pratiqué il y a quelques années, on peut tabler sur une hausse de 200 à 250 euros. Et je ne m’attends pas à ce que nous revenions aux prix pratiqués il y a deux ans. La hausse des coûts n’est pas imputable uniquement aux matériaux, à la guerre et au prix de l’énergie. Elle est également liée à la transition vers la durabilité. L’évolution est aussi consécutive aux normes plus sévères, et préférables, en matière de durabilité. »
Investisseurs
Ce n’est donc pas un hasard si les promoteurs misent de plus en plus sur la location de logements durables. « Il est impossible de proposer une solution dans un modèle de vente », affirme Laurens Gilen, administrateur délégué de la société limbourgeoise Gilen Real Estate. « Aujourd’hui, la base la plus courante pour acquérir un logement est un crédit hypothécaire d’une durée de vingt ans. En six mois, vous construisez une maison que vous rembourserez en vingt ans. Pas question de retenir ceux qui peuvent se le permettre, mais cette option devient réservée aux catégories de revenus supérieures. Afin de créer une offre abordable pour tous les autres groupes cibles, il est nécessaire d’impliquer des investisseurs professionnels. Ils investissent sur un horizon beaucoup plus long, de sorte qu’il est possible de commercialiser une offre locative accessible aux revenus faibles et moyens. »
Gilen évoque un projet à Saint-Trond pour lequel Gilen Real Estate s’est associée à Vestio. C’est sur un site désaffecté de 65.000 mètres carrés que débutera l’été prochain la construction de 167 maisons et appartements neutres en énergie. Tout le quartier sera neutre en carbone grâce à la géothermie, tandis que plus de 1.000 panneaux solaires atteindront une puissance de crête d’un demi-million de watts. Et en posant ce champ solaire avant les travaux de construction, le chantier réduira ses émissions de CO2 de moitié par rapport à un chantier classique. Autre fait marquant : pour créer un cadre de verdure, un total de 1.000 arbres seront plantés dans la zone résidentielle piétonne.
Accessibilité financière
Le projet est lancé sur le marché avec trois formules : achat, location ou location écureuil. « La location écureuil est une formule avec laquelle nous avons déjà travaillé », explique Gilen. « Ce système permet au locataire, après cinq ans, de convertir en apport au moins 50 % de maximum huit ans de loyer pour conclure un prêt hypothécaire. Pendant la période de location, il occupe déjà une maison économe en énergie, ce qui lui permet d’épargner le montant des économies réalisées pour pouvoir à terme accéder à l’étape de l’achat. Par ailleurs, ce système offre aux personnes qui ont un revenu plus faible la possibilité de devenir propriétaires d’un logement peu énergivore. » Gilen pratique la location écureuil depuis 2018 au départ d’un fonds d’investissement immobilier, Hamsterhuren® II, dans lequel investissent Belfius Immo et Ethias notamment.
La voie des fonds d’investissement immobiliers a de l’avenir, pointe Gilen. « C’est une manière d’assumer conjointement la responsabilité sociétale. Des investisseurs convaincus par l’impact de la construction écologique contribuent à rendre l’offre abordable sur le marché. Ce type d’investisseurs exige toutefois une certaine échelle. Mais le problème auquel nous sommes confrontés, le manque d’immobilier durable abordable, nécessite aussi cette échelle. C’est pourquoi nous n’envisageons pas que des projets individuels. Avec une nouvelle initiative basée sur le fonds d’investissement immobilier Canius, nous voulons rassembler 2.000 unités et les développer de manière abordable avec l’appui d’investisseurs. Une telle échelle permet également de travailler sur une ‘accessibilité financière mesurable’, avec laquelle nous pouvons confirmer ce qui est abordable sur la base des revenus dans une région. »
Lotir n’est plus une évidence
Wolf Invest a aussi eu l’idée de concilier prix abordables et durabilité au moyen d’un fonds. Ce dernier apporte ainsi l’assise nécessaire pour rendre les loyers des appartements abordables dans Uptown Avenue sur la Van Den Hautelei à Anvers. En 2019, Wolf Group a créé Family Backed Real Estate (FBRE), un fonds spécialisé dans le financement de projets immobiliers d’envergure dans le Benelux. Il a reçu le soutien d’entrepreneurs tels que Jan Verbrugge (SDM) et Luk Busschop, issu du giron de BULO et actif comme investisseur en valeurs immobilières et private equity. FBRE a participé avec Great Grey Investments au projet am- sterdamois Amstel III du promoteur Wonam. Les deux tours résidentielles comptent au total 592 logements abordables et durables et 19.000 mètres carrés d’espaces de bureaux et services sociaux. À Zoetermeer également, le fonds finance 360 appartements.
En Belgique, FBRE a rejoint Voor- uitzicht dans le projet Heizijde à Turnhout, qui prévoit la création d’environ 500 unités résidentielles. « L’évolution recherchée avec FBRE s’est poursuivie ces dernières années dans la discrétion, non pas avec de beaux discours, mais avec le soutien d’entrepreneurs immobiliers belges », décrit Frank Reekmans. « En tant que promoteur, nous voulons apporter notre contribution à une société en mutation dans laquelle les logements abordables deviennent une denrée rare. Considérer le lotissement comme allant de soi est une erreur. Un promoteur doit participer dans la concertation à la construction d’une société durable où le logement est un droit. »
Location institutionnelle
Ce n’est pas un hasard si les premiers projets ayant bénéficié de capitaux du fonds FBRE se situent aux Pays-Bas. Puisqu’il est plus difficile d’obtenir un financement bancaire, le besoin de fonds propres y est plus important. « Aux Pays-Bas, le souci justifié de pouvoir se payer un logement durable a favorisé le passage à des habitations plus compactes », dit Reekmans. « Ils ont aussi franchi le cap vers le marché locatif et nous ferons bientôt de même. Il est tout simplement impossible de faire autrement. Aux Pays-Bas et en Allemagne, de nombreux investisseurs institutionnels rachètent désormais des blocs d’appartements pour miser sur la location. Le marché locatif belge est traditionnellement entre les mains de petits investisseurs. Le passage à de grands investisseurs suivra ici aussi. »
Selon Laurens Gilen, l’évolution des investisseurs n’est pas le seul critère à surveiller. La diversité des règles de permis est un autre élément crucial. « Certaines administrations sont activement à la recherche de solutions pour des biens immobiliers durables et abordables, tandis que d’autres s’en préoccupent beaucoup moins. Nous observons de nombreuses approches différentes, parfois avec de longues procédures alors que le temps presse vraiment en matière de durabilité. Le marché compte suffisamment d’acteurs désireux d’investir dans la construction durable et aussi suffisamment de personnes qui veulent occuper des logements durables. »
Cet article est paru dans le Top Construction qui est disponible en PDF.