Les managers passifs augmentent le turn-over
Plus de 17% des travailleurs belges dirigés par un manager passif indiquent vouloir changer d’employeur à court terme. C’est ce qui ressort d’une étude de la KU Leuven et Securex. « Les managers de type ‘laissez faire’ se montrent attentistes, évitent les conflits ou sont tout simplement difficiles à joindre, » déclare la professeure Anja Van den Broeck. Elle livre plusieurs conseils pour détecter, aborder et prévenir le leadership passif. (Dimitri Dewever)
Le marché de l’emploi belge connaît une hausse préoccupante du nombre de travailleurs prêts à quitter leur employeur. Selon une nouvelle étude du prestataire de services RH Securex et de la KU Leuven, 12,3% des travailleurs songent à changer d’emploi à court terme. Ce chiffre a presque doublé en seulement trois ans.
À long terme, l’intention de départ reste également élevée : 19% des personnes interrogées déclarent vouloir chercher un nouvel employeur d’ici quelques années. « L’augmentation est frappante et devrait inquiéter les organisations », remarque la professeure Anja Van den Broeck (KU Leuven), spécialisée dans la motivation au travail et co-coordinatrice de l’étude. « Nous observons de plus en plus clairement que le style de leadership joue un rôle crucial dans la rétention des travailleurs. »
Les managers passifs pointés du doigt
Pour la première fois, l’étude établit un lien clair entre l’impact de différents styles de leadership et l’intention de départ. Ce sont les managers passifs qui se retrouvent en haut du classement. Les travailleurs dirigés par un manager passif sont les plus enclins à vouloir changer d’emploi : 17,3% envisagent de partir à court terme. « Les managers passifs se montrent par exemple attentistes, évitent les conflits ou sont tout simplement difficiles à joindre, car ils sont trop occupés par d'autres tâches », déclare Anja Van den Broeck.
Le leadership passif semble soutenir l’autonomie, mais il conduit en réalité à un sentiment d’abandon chez les travailleurs qui n’obtiennent pas de réponse à leurs questions ou qui sont contrariés parce que les problèmes ne sont pas traités. « Face à un manager passif, les travailleurs ne savent pas ce qu’ils doivent faire, pourquoi ils le font ni comment ils doivent le faire », ajoute Anja Van den Broeck. « Ce manque de structure et de feed-back mine leur motivation et leur bien-être. Ils se sentent délaissés, commencent à douter d’eux-mêmes et finissent par vouloir partir. »
Quelle est la cause du leadership passif ?
La question fondamentale, selon Anja Van den Broeck, est de savoir si les managers ont les compétences et le temps nécessaires pour remplir leur rôle correctement. « Les managers sont souvent promus en interne parce qu’ils excellent dans leur travail », explique-t-elle. « Mais ça n’en fait pas de bons People Managers pour autant. Certains ne savent pas comment remplir leur rôle ou réagir. Nous devons nous demander si le meilleur expert fait forcément le meilleur manager. »
À cela s’ajoute la charge de travail accrue. Certains managers ne sont parfois pas disponibles physiquement, en raison par exemple d’un agenda overbooké ou d’une avalanche de réunions (virtuelles). « De nombreux managers combinent leur rôle de management avec des tâches concrètes liées à leur fonction et une lourde charge administrative. Il est alors tentant de se mettre en retrait et de n’intervenir qu’en cas d’urgence. Mais ce comportement est perçu par les travailleurs comme du leadership passif, ce qui ne fait qu’accélérer leur départ. »
Reconnaître les signes
Les entreprises peuvent s’aider d’enquêtes de satisfaction ou de mesures de prévention pour identifier le leadership passif. Les plaintes et le sentiment collectif des travailleurs sont également de bons indicateurs. « Il est toujours possible qu’un travailleur ne s’entende pas avec son manager. Cela ne signifie pas que son leadership est passif », nuance Anja Van den Broeck. « Par contre, lorsqu’une équipe entière a le même ressenti, il y a clairement un problème. »
Que peuvent faire les employeurs pour prévenir le leadership passif ? Selon l’experte, la clé se trouve dans le soutien et la faisabilité. Elle conseille de former les managers aux comportements concrets qui renforcent la motivation de leur équipe, de réévaluer leur charge de travail de manière critique afin qu’ils aient du temps à consacrer à leurs collaborateurs et d’examiner si le rôle de management leur convient bien. « Dans les secteurs comme l’IT, le leadership est parfois partagé entre un rôle technique et un rôle axé sur les relations humaines », indique-t-elle. « Ce n’est pas nécessairement la panacée, mais c’est une piste que les entreprises peuvent explorer. »
Leadership contrôlant ou leadership soutenant l’autonomie
Étonnamment, un leadership contrôlant, caractérisé par de la microgestion et de la pression (my way, or the highway), ne conduit pas à une intention de départ supérieure à la moyenne. De fait, 12,2% des travailleurs dirigés par un manager contrôlant envisagent de démissionner, soit la moyenne nationale.
« En revanche, un leadership contrôlant affecte le bien-être des travailleurs », souligne Stephanie Heurterre, Senior HR Consultant chez Securex. « La microgestion donne aux travailleurs le sentiment d’être moins compétents et, par conséquent, ils évaluent à la baisse leurs perspectives d'emploi sur le marché du travail. Alors, ils restent. »
La plus faible intention de départ est mesurée auprès des travailleurs qui ont un manager soutenant l’autonomie ou offrant une structure, avec respectivement 9% et 8,8%. Ce style de leadership motive, car il offre à la fois clarté et implication, ainsi que des objectifs qui ont du sens.
Évolution vers un leadership plus risqué
L’étude indique également que le leadership soutenant l’autonomie est moins fréquent depuis 2021. Parallèlement, les styles passif et contrôlant prennent de l’ampleur. Sur le lieu de travail règne donc un style de leadership « provoquant une plus grande intention de départ », selon les chercheurs. Ces chiffres sortent à un moment où le marché belge de l’emploi fait face à une pénurie structurelle de talents.
Sous l’effet de la transition démographique, de nombreux travailleurs quittent le marché de l’emploi. Trouver et retenir la main-d'œuvre qualifiée est de plus en plus compliqué. « Dans un contexte où chaque employé compte, les organisations ne peuvent se permettre un leadership passif », conclut Anja Van den Broeck. « Les managers sont des acteurs clés pour créer un environnement de travail motivant et stimulant où les travailleurs se sentent suffisamment soutenus. »