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La relocalisation exige une logistique à valeur ajoutée

Les tensions géopolitiques, le Covid et la guerre en Ukraine ont perturbé les chaînes de production et d’approvisionnement mondiales. Les entreprises ont été contraintes de revoir leurs stratégies et de relocaliser leur production. Mais où en sont concrètement le reshoring et le nearshoring ? (Wouter Temmerman)

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Lors d’un sondage mené par Trends fin 2024 sur la rhétorique isolationniste et protectionniste de Trump, les termes reshoring et nearshoring se sont révélés omniprésents. Pour Joost Uwents, CEO du groupe immobilier logistique WDP, la mondialisation est en déclin depuis la pandémie. « La tendance sera amplifiée par Trump », a expliqué le CEO. « Nous allons vers une continentalisation, ce qui n’est pas forcément négatif pour l’Europe. Nous devrons nous investir davantage. Grâce au reshoring, et parfois au nearshoring, le continent bénéficiera d’un approvisionnement fiable et d’une disponibilité optimale. Actuellement, nos puces d’ordinateurs sont toujours produites à Taïwan. Dans dix ans, chaque continent produira les siennes. »

Le reshoring désigne le processus par lequel les entreprises rapatrient leur production dans leur pays. Le nearshoring est un transfert de la production dans une région proche. Après des décennies d’offshoring, qui consiste à délocaliser la production vers des pays à bas salaires, le reshoring et le nearshoring gagnent du terrain pour renforcer les chaînes d’approvisionnement. « Les entreprises ont ressenti la vulnérabilité de leurs longues chaînes d’approvisionnement ces dernières années », souligne Bram Desmet, professeur en Operations & Supply Chain à la Vlerick Business School et CEO de Solventure. « La pandémie et les troubles géopolitiques ont mis en exergue les risques liés à la dépendance envers des sites de production éloignés. »

Chaînes d’approvisionnement mondialisées

Sans être neuf, le reshoring connaît donc un regain d’intérêt. Les pénuries d’approvisionnement mondiales, les rayons vides, les arrêts de production et la flambée des coûts de transport ont douloureusement révélé la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement éloignées. En parallèle, il est urgent de réduire notre dépendance stratégique à la Chine et à d’autres pays asiatiques producteurs. Plusieurs études post-Covid appuient ce constat. Selon une étude de la BCE de 2023, les entreprises qui prévoient de relocaliser leurs chaînes d’approvisionnement vers des pays proches ou de les diversifier sont passées de 55 à 80% en cinq ans. Toujours en 2023, une étude de Maersk a montré que les perturbations dans la chaîne d’approvisionnement et les retards dans les matières premières, le transport et les pièces détachées avaient entraîné un « changement de génération dans la stratégie d’approvisionnement ». 67% des distributeurs et producteurs mondiaux auraient adapté leur modèle d’approvisionnement. « Cette évolution, en cours depuis plusieurs années, s’intensifiera dans la prochaine décennie, les chaînes d’approvisionnement les plus mondialisées étant les plus touchées et les plus enclines au changement », constatent les auteurs du rapport.

Durabilité et politique

Les entreprises restent cependant hésitantes, et ce, pour diverses raisons telles que les faibles coûts salariaux en Asie ou les investissements en sites de production et en main-d’œuvre exigés par le reshoring et le nearshoring, alors que l’incertitude actuelle freine les grandes décisions d’investissement des entreprises. Bram Desmet souligne le contraste entre intentions et réalité. « Si l’attrait financier de l’offshoring diminue, il reste une réalité, expliquant les hésitations des entreprises. Aurions-nous déjà oublié les leçons de la pandémie sur la fragilité de la supply chain mondiale ? »

Pourtant, le reshoring et le nearshoring se développent dans certaines régions, favorisés par divers facteurs : volonté de renforcer la résilience des chaînes logistiques, progrès technologique, nouvelles perspectives de production locale économiquement viable offertes par l’automatisation et la robotisation, incitations par les autorités en raison des enjeux liés à la durabilité et des tensions politiques… Si les conflits commerciaux initiés par les USA ne sont pas une nouveauté, ils ont un impact certain, précise Bram Desmet. « La loi sur la réduction de l’inflation de Joe Biden a été un déclencheur pour une production plus locale, renforçant la compétitivité de nos entreprises. » Le pacte vert pour l’Europe a également favorisé la relocalisation. En réduisant les distances de transport, les entreprises diminuent leurs émissions de CO2. « Outre les tensions politiques, le développement durable est le principal moteur de la relocalisation », estime Bram Desmet. « L’approvisionnement régional peut faire baisser considérablement l’empreinte carbone. De plus, des possibilités d’optimiser la production existent au sein des régions. Mais les entreprises sont trop prudentes en matière de relocalisation, ce qui représente une occasion manquée en termes de durabilité et de flexibilité. Une chaîne plus proche du client donne plus de marge de manœuvre pour anticiper les besoins d’un marché local. »

Impact sur le secteur logistique

Un changement dans les chaînes de production a toujours de profondes répercussions sur le secteur logistique. La baisse du transport mondial transforme en profondeur les activités du transport maritime, du transit et du transport routier. « Ces vingt dernières années, la principale activité du secteur logistique a été le transport de conteneurs », observe Bram Desmet. « Le secteur s’est attelé à trouver la solution la moins chère pour transporter des marchandises du point A au point B, sans réfléchir à la valeur ajoutée. Si le reshoring et le nearshoring s’imposent, les entreprises de logistique devront se réinventer. »

Une gestion complète de la chaîne d’approvisionnement et une transition vers des modèles de distribution régionaux seront nécessaires. Les transporteurs pourront assumer un nouveau rôle. Dans un contexte de transport intercontinental en recul, la distribution régionale et la logistique de proximité gagnent en importance. La demande de stockage sophistiqué et automatisé à proximité des sites de production va en outre augmenter. En plus de ces entrepôts intelligents, le secteur peut se démarquer avec des solutions écologiques. « Ceux qui se concentrent uniquement sur le transport de volume rencontreront des difficultés », prédit Bram Desmet. « À l’inverse, les entreprises qui misent sur des chaînes d’approvisionnement flexibles et intégrées pourront saisir de nouvelles opportunités. » 

Valeur ajoutée

Tant au niveau mondial que local, certains prennent déjà des mesures pour une logistique favorisant le reshoring. « Le transport reste un marché très compétitif », note Bram Desmet. « Les acteurs qui se positionnent sur les flux de matières premières sont invariablement confrontés à une guerre des prix. Le transport de produits à haute valeur ajoutée est un moyen de se démarquer et de s’imposer comme un acteur clé dans un marché de niche. » C’est par exemple la stratégie choisie par Penske Logistics qui transporte les équipements de Formule 1 à travers le monde en un temps record. « La spécialisation peut aussi se fonder sur le marché », poursuit Bram Desmet. « L’entreprise de logistique Ahlers se concentre par exemple sur le marché russe. Malgré le contexte actuel difficile, ce positionnement complexe illustre comment une entreprise de transport spécialisée peut tirer parti de la délocalisation. »

Le reshoring et le nearshoring ne sonneront pas le glas de la mondialisation, mais l’équilibre entre production locale et offshore continuera d’évoluer. Le secteur devra s’adapter à l’évolution des flux et aux impératifs de durabilité et d’efficacité. « Les leaders de demain seront ceux capables de se réinventer dans un écosystème en mutation », conclut Bram Desmet.

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