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Entreprendre dans un monde incertain

Dans un monde en mutation rapide, marqué par des tensions géopolitiques et une économie imprévisible, les entreprises sont confrontées à des défis inédits. Quatre dirigeants de petites et grandes entreprises belges issues de secteurs divers révèlent comment ils naviguent dans les eaux troubles de l’incertitude et de la transformation, et les obstacles qu’ils doivent surmonter. « Rester tranquillement dans l’attente n’est plus une option depuis longtemps. » (Dimitri Dewever)

En tant qu’entreprise technologique dédiée à l’industrie, aux infrastructures et au transport, Siemens constate aujourd’hui que les entreprises ont besoin de solutions intelligentes pour gérer plus efficacement leur consommation d’énergie et leurs matières premières. « Plus que jamais, les entreprises doivent surveiller étroitement leurs coûts et leur efficacité », explique Serge Molinari, CEO chez Siemens Belgique et Luxembourg. « L’optimisation des processus, la maîtrise des coûts énergétiques et les investissements intelligents sont la clé pour faire face à l’impact des hausses de prix et à la pénurie des matières premières. »

La forte hausse des coûts de l’énergie et des prix des matières premières qui s’est produite pendant la pandémie de COVID-19 a perturbé les chaînes d’approvisionnement et entraîné une brusque augmentation de la demande. Si la situation s’est aujourd’hui améliorée, les prix ne sont pas redescendus à leur niveau initial. « La situation s’est aggravée avec la guerre en Ukraine en 2022 qui a entraîné une pénurie de gaz et de pétrole ainsi que de nouvelles hausses de prix, tant pour le transport que pour les matières premières », constate Lieven Vanlommel, CEO chez Foodmaker, une entreprise qui propose des repas sains. « L’inflation galopante et les coûts salariaux en hausse se sont encore ajoutés à ces difficultés. Notre entreprise a été confrontée à un surcoût sans précédent de 3 millions d’euros sur une base annuelle. Avec une marge bénéficiaire de 2 % sur nos produits, nos activités se sont brusquement révélées lourdement déficitaires. » Grâce au dialogue avec ses collaborateurs, fournisseurs et clients tels que Delhaize, Foodmaker a finalement pris des décisions cruciales pour renouer avec la rentabilité. Elle a notamment optimisé son offre de repas (certaines propositions ont été supprimées, NDLR), réduit son temps de production de sept à cinq jours, mis au point un modèle de franchise pour ses restaurants et augmenté ses prix.

Gestion des risques

Les organisations doivent aussi pouvoir s’adapter avec flexibilité à l’évolution des conditions de marché, des fluctuations de la demande aux perturbations dans la chaîne d’approvisionnement. « Depuis notre création en 2021, nous avons toujours mené nos activités avec rigueur et vigilance », témoigne Laurens De Vos, CEO chez Frolight, une startup belge qui a développé un système de lumières infrarouges qui protègent les vignobles contre le gel (un système nettement plus efficace, économe en énergie et écologique que les canons à chaleur traditionnels, NDLR). « Nous disposons par exemple d’un vaste stock de composants et matières premières qui nous permet de poursuivre notre production en cas de pénurie soudaine. Nous avons également élaboré une feuille de route pour anticiper les retards éventuels ou d’autres problèmes dans notre chaîne d’approvisionnement. »

« Les grandes entreprises belges sont souvent plus lentes et moins réactives que les entités étrangères pour prendre des décisions rapides, ce qui est dangereux sur le plan de la gestion des risques », observe Batist Leman, CEO chez Azumuta, qui a développé une plateforme numérique pour le secteur manufacturier, assurant l’adaptation automatique des instructions pour les opérateurs en fonction des opérations à effectuer et de l’expérience du collaborateur. « L’exemple récent de l’entreprise Van Hool illustre les dangers de l’indécision.  D’autres fleurons de l’industrie belge s’exposent au même risque s’ils ne se renforcent pas et si leur gestion ne gagne pas en flexibilité. »

Flexibilité

Le manque de flexibilité et de dynamisme ne peut certainement pas être reproché à Foodmaker. Avant la pandémie, l’entreprise disposait d’un réseau de 14 restaurants. Mais lorsque la crise sanitaire a éclaté et que les restaurants ont été contraints de fermer, le chiffre d’affaires a chuté de 90 %. Pour Foodmaker et son fondateur Lieven Vanlommel, cette situation a d’abord été une grande source d’incertitude et d’anxiété. « Conscients qu’il fallait réagir rapidement, nous avons modifié totalement notre modèle d’entreprise en quelques semaines. Nous avons fait le choix d’investir dans une plateforme en ligne sur laquelle nos clients pouvaient commander et se faire livrer des repas sains grâce à une application. »

Cette transition rapide vers le numérique a été décisive pour la survie de l’entreprise. Après les premiers confinements et assouplissements, lorsque les restaurants ont pu rouvrir progressivement, Foodmaker a décidé de garder sa plateforme de commande en ligne. « Nous avons remarqué que le volet numérique fonctionnait bien auprès des clients existants, mais qu’il attirait également un nouveau public. Les commandes en ligne ont augmenté régulièrement et sont devenues partie intégrante de notre modèle d’entreprise. Depuis la crise sanitaire, notre chiffre d’affaires a augmenté de 600 %, nous sommes désormais présents non seulement en Belgique, mais aussi en France, aux Pays-Bas et en Allemagne. Et si tout va bien, d’ici décembre, nous aurons livré 20 millions de repas sains en un an. C’est insensé, car je me rends compte que si nous avions pris une mauvaise décision pendant la pandémie, nous aurions tout aussi bien pu être en faillite aujourd’hui. »

Technologie et innovation : un duo gagnant

Dans ce contexte, les innovations et les technologies disruptives sont devenues véritablement incontournables. Les entreprises qui ont adopté l’automatisation, l’IA ou la numérisation des processus sont plus compétitives et s’adaptent souvent plus vite aux changements. « L’innovation aide à conquérir de nouveaux marchés, mais aussi à réduire les coûts », souligne Serge Molinari. « Les entreprises qui choisissent les solutions les plus adaptées à leurs activités, à leur modèle et à leurs stratégies de croissance trouvent dans la technologie une réponse pour faire face à diverses incertitudes. C’est un principe que nous appliquons également à notre entreprise : nous utilisons l’IA et l’apprentissage automatique pour automatiser nos processus de production, mettre en œuvre la maintenance prédictive et analyser les dynamiques de marché. Grâce à cela, nous pouvons anticiper les changements inattendus du marché ou de la chaîne d’approvisionnement et ainsi identifier les perturbations pour nous adapter. »

« En investissant dans l’analyse des données, les entreprises sont mieux armées pour prédire les tendances et prendre des décisions fondées », explique Batist Leman. « Les données en temps réel aident à identifier les risques et les opportunités, ce qui permet aux entreprises de faire face aux aléas du marché. Je pense notamment à l’optimisation des coûts, à la gestion plus efficace et plus économe des matières premières ou à la conquête de nouveaux marchés. »

Diversification et répartition des risques

Pour réduire par exemple l’impact des tensions géopolitiques et des fluctuations du marché, l’approche qui consiste à diversifier les sources de revenus et les marchés est judicieuse. Elle permet de répartir les risques et de diminuer la dépendance des entreprises à un seul produit ou marché. « Nous sommes actifs dans le monde entier : nos clients se trouvent en Europe, en Australie, au Chili et aux États-Unis. Au total, notre solution protège 600 kilomètres de vignobles », affirme Laurens De Vos. « Nous n’avons donc pas mis tous nos œufs dans le même panier. Si le marché du vin s’effondre aux États-Unis en raison de mauvaises vendanges ou au Chili à cause de problèmes économiques, nous avons encore des clients dans d’autres pays et zones climatiques pour minimiser les conséquences. Nous organisons notre production de manière très flexible, en collaboration avec divers partenaires et fournisseurs. »

Ces dernières années, Siemens a également revu sa structure pour gagner en agilité et réagir plus rapidement aux fluctuations du marché. « Nous avons par exemple plusieurs divisions spécialisées dans des secteurs technologiques spécifiques tels que la mobilité, les infrastructures intelligentes et l’industrie », expose Serge Molinari. « Cela permet à chaque département de s’adapter avec flexibilité aux dynamiques spécifiques de marché et à l’évolution des besoins des clients ».

« Notre production tourne aujourd’hui à plein régime avec nos 300 collaborateurs », se réjouit Lieven Vanlommel. « Nous avons besoin de deux nouvelles usines pour pouvoir nous développer. Celles-ci verront très probablement le jour à l’étranger : d’une part parce que les coûts de main-d’œuvre sont nettement inférieurs en France, au Portugal et en Espagne, et d’autre part parce que nous assurons ainsi notre répartition géographique, ce qui nous permettra de mieux absorber d’éventuels problèmes locaux dans la chaîne d’approvisionnement ».

Batist Leman met en garde les entreprises belges qui voudraient délocaliser trop vite une part importante de leur production à l’étranger, et notamment en Asie. « Si le secteur manufacturier quitte massivement l’Europe, nous serons confrontés à un gros problème car il ne reviendra pas de sitôt. La Belgique a longtemps été considérée comme une économie du savoir pure et dure, reconnue pour son excellence dans la fourniture de services. Mais grâce à l’IA, le travail intellectuel deviendra plus abordable, au risque de perdre parfois en pertinence. L’industrie manufacturière est une composante importante de notre société. Elle offre aux personnes diplômées ou non de l’enseignement supérieur un large éventail d’emplois et de fonctions. Nous devons à tout prix la préserver ».

Écosystèmes

La collaboration avec d’autres entreprises, les autorités publiques, le monde universitaire et les organisations sectorielles peut contribuer à atténuer l’impact des crises. Les réseaux solides permettent aux entreprises de résoudre les problèmes communs, de partager les ressources et de se soutenir mutuellement dans les périodes difficiles. « Lorsque nous collaborons avec des startups, des universités et d’autres entreprises technologiques, nous participons à divers écosystèmes », explique Serge Molinari. « C’est ainsi que Siemens peut rapidement tester et intégrer de nouvelles idées et technologies. Notre unité next47 investit par exemple dans des start-ups qui développent des technologies de pointe pour nous aider à innover et à rester compétitifs. »

Batist Leman plaide également pour une collaboration plus étroite entre les entreprises et les autorités. « Pour beaucoup de choses, nous sommes confrontés dans notre pays, et par extension en Europe, à des réglementations complexes et à de lourdes charges administratives. Nous n’avons vraiment pas besoin de plus de subsides et de soutien financier ! Par contre, les entreprises bénéficieraient beaucoup d’un allègement des procédures et d’une simplification des obligations en matière de rapports, y compris en ce qui concerne la durabilité. Je pense notamment au CSRD : cela donnerait plus de marge de manœuvre à nos entreprises. » 

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