En Marge du Top Industrie - Avec les compliments de l’IRA
Aux problèmes causés par l’invasion de l’Ukraine sont soudainement venus s’ajouter ceux générés par la manière dont les Etats-Unis entendent réduire leur empreinte climatique. (Tony Coenjaerts)
Après avoir encaissé en 2020 la contraction économique la plus profonde observée depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l’activité a nettement rebondi dès le deuxième trimestre de 2021, permettant ainsi d’enregistrer une croissance de 6,2% sur l’ensemble de l’année. Le chiffre d’affaires de l’industrie manufacturière a rebondi de 17,5% et dépasse, avec près de 293 milliards son niveau d’avant la crise sanitaire. La production y a augmenté d’un pourcentage équivalent (17,4%), tirée vers le haut par une forte augmentation de la production dans l’industrie pharmaceutique (111,5%) et plus particulièrement, la production de vaccins. Depuis le début de la pandémie, les effectifs de Pfizer Puurs sont passés de 2.800 à 4.500 collaborateurs et le site, qui fonctionne 24 heures par jour, sept jours par semaine, accueillera prochainement le plus gros investissement (1,2 milliard d’euros) de son histoire. Chez GSK Biologicals en revanche, le Covid a entraîné une diminution des ventes de près d’un quart (24%), principalement liée à une baisse des ventes de vaccins des gammes Zona aux Etats-Unis.
Attractivité retrouvée
Internationalement, notre pays est redevenu attractif. Selon le baromètre annuellement dressé par Ernst & Young, 245 projets d’investissement, bons pour environ 7.000 emplois, ont vu le jour en 2021. C’est, par rapport à 2020, une progression de 8%, largement supérieure à la moyenne européenne. Fin 2022 a été symboliquement posée à Anvers la première pierre du plus gros investissement de la chimie européenne de ces 25 dernières années : quatre milliards d’euros investis par le Britannique Ineos dans la construction d’un craqueur d’éthane dont la mise en route nécessitera, entre autres, l’installation de 2.000 kilomètres de tuyauteries.
L’European Innovation Scoreboard (EIS) établi par la Commission Européenne, nous range tout comme la Suède, la Finlande, le Danemark et les Pays-Bas, parmi les « champions de l’innovation » et selon la Banque nationale, cela fait quelques années maintenant que nos investissements sortants sont supérieurs aux investissements entrants avec quelquefois, des résultats spectaculaires. Pratiquement tous les journaux des Pays-Bas sont aujourd’hui propriété de deux groupes flamands : DPG Media ou Mediahuis.
Depuis son recentrage sur les technologies de construction légères, Etex semble pris d’une fringale d’acquisitions, la dernière en date étant URSA, leader européen de la laine de verre minérale et du polystyrène extrudé. (XPS). Cette acquisition devrait propulser le chiffre d’affaires consolidé au-delà des trois milliards d’euros, dont moins de 7% réalisé dans le Benelux. D’autres font moins encore. Constructeur courtraisien de machines textiles, Vandewiele réalise moins de 4% de son chiffre d’affaires consolidé (870 millions d’euros) dans notre pays mais a vu ce dernier doubler par rapport à 2020 suite à l’acquisition de l’italien Savio. Avec Picanol, l’autre poids lourd du secteur, notre pays est premier exportateur mondial de machines textiles.
Excédent commercial
Les exportations de l’industrie manufacturière se sont accrues de 31,5%, offrant ainsi à notre pays un excédent commercial de 25 milliards d’euros. L’imprimerie exceptée, quasi tous les secteurs affichent des chiffres en progrès ce qui globalement, s’est traduit par une augmentation de 4,5% du taux d’utilisation des capacités de production et de 4,4% pour l’emploi manufacturier. Même si ces deux derniers paramètres n’ont toujours pas retrouvé leur niveau d’avant la crise, le vert est de mise et le serait resté si dans les plaines d’Ukraine, le canon ne s’était mis à tonner avec pour dommages collatéraux une inflation galopante et une pénurie de matières premières, parmi lesquelles l’énergie.
Notre pays est en effet le seul à pratiquer l’indexation automatique des salaires avec, selon les secteurs, des périodicités différentes. Au 1er janvier, le salaire des employés (CP 200) a augmenté par exemple de plus de 10%, tout comme celui des travailleurs de l’industrie alimentaire (CP 118). Dans ce dernier secteur, qui réalise pratiquement la moitié de son chiffre d’affaires (61,4 milliards) à l’exportation, pareille augmentation risque d’être d’autant plus difficile à digérer que dans son dernier Rapport annuel, Fevia chiffre déjà son handicap salarial à 24%. Estimant le problème temporaire plutôt que récurrent dans la mesure où, selon lui, les salaires augmentent également chez nos voisins et concurrents mais « plus lentement », le gouvernement vient de donner à notre compétitivité un petit coup de pouce temporaire. Au cours des deux premiers trimestres de l’année à venir, nos entreprises bénéficieront d’une réduction de 7,07% de leurs cotisations patronales. Pour les deux trimestres suivants, il n’y aura plus de réduction, simplement un étalement dans le temps.
Gourmandise structurelle
Parallèlement, les prix de l’énergie ont augmenté dans notre pays plus rapidement qu’ailleurs : de 22,4% en moyenne pour l’année 2021 contre 10,1% pour l’Allemagne, 10,9% pour la France et 17,3% pour les Pays-Bas. C‘est d’autant plus embêtant que notre appareil productif est structurellement gourmand en énergie. Pour 1.000 euros de valeur ajoutée, notre pays a eu besoin en 2020 de 142,8 kg équivalent pétrole (KGOE), contre 92,43 pour l’Allemagne, 103,37 pour la France et 114,04 pour les Pays-Bas.
Sur ces deux handicaps majeurs, s’en greffe un troisième : le manque de talents. Dans un pays où près de la moitié (49,9%) des 30-34 ans possède un diplôme de l’enseignement supérieur, cela peut sembler bizarre. Jamais en effet, ce pourcentage n’a été aussi élevé mais en même temps, jamais il n’y a eu, au cours des dix dernières années, autant de postes (21.000) à pourvoir dans le secteur, déplore, par exemple, Agoria, porte-parole de nos entreprises technologiques. Le phénomène, à vrai dire, n’est pas national mais européen et invite à se demander si, en même temps que nos filières d’enseignement, il n’y aurait pas quelques mentalités et stéréotypes à revoir.
Entre-temps, nos entreprises préparent activement la transition écologique, spontanément ou poussées par les pouvoirs publics comme en Flandre, où les 2.500 plus gros consommateurs d’électricité industrielle devront, dès 2025, produire eux-mêmes leur énergie. A Wevelgem, Alpro a mis en service la plus grande installation de réutilisation d’eau de Flandre et à Beerse, les sondages s’étant révélés positifs, Janssen Pharmaceutica construit une centrale géothermique.
Protectionnisme américain
Côté mobilité, Volvo Trucks produira dès l’été prochain des camions électriques et pour alimenter ces derniers construira, également à Gand, une ligne de fabrication de batteries qui devrait être opérationnelle en 2025. A Gand toujours, Volvo Car travaille au triplement de sa capacité de production afin de porter celle-ci à 135.000 voitures électriques par an. A Bruxelles, Audi a fêté en 2021 l’assemblage de la 100.000ième e-tron électrique et depuis décembre, la nouvelle Q8 e-tron, modèle supérieur de la gamme des SUV électriques. A partir du second semestre 2023, Bruxelles assemblera également l’Audi 4 e-tron.
D’Amérique souffle toutefois un vent contraire. On y pense également au climat mais de manière protectionniste. En août dernier, le Congrès américain adoptait via l’Inflation Reduction Act (IRA), un vaste programme de 400 milliards de dollars destiné à réduire de moitié à l’horizon 2030 les émissions américaines de gaz à effet de serre. Ce plan prévoit notamment un crédit d’impôt jusqu’à 7.500 dollars pour l’achat d’une voiture électrique à condition qu’elle sorte d’une usine américaine, batterie comprise. Se trouveront ainsi pénalisés non seulement les constructeurs européens mais également ceux établis aux Etats-Unis dont les chaînes d’approvisionnement seront alimentées au départ de l’étranger. Face à l’ampleur de l’attaque – car c’en est bien une – les Vingt-sept cherchent activement la parade.
D’un chiffre à l’autre
Comme à l’accoutumée, les chiffres de nos classements sont non consolidés et doivent être pris avec les réserves d’usage, surtout en période d’inflation. De 2020 à 2021, le prix moyen du Brent est ainsi passé de 42 à 71 dollars le baril alors que dans le même temps, la monnaie européenne se dépréciait avec une parité euro-dollar moyenne de 1,18 dollar/euro en 2021 contre 1,14 dollar/euro l’année précédente. Les chiffres d’affaires d’entreprises comme ExxonMobil Petroleum, TotalEnergies Petrochemicals ou BASF Antwerpen s’en sont trouvés amplifiés. Des fusions ou des restructurations peuvent également intervenir.
En matière de bénéfices également, certains montants peuvent paraître impressionnants. Les Ets. L. Lacroix Fils, qui exploitent à Wilrijk la plus grande unité mondiale de production de papier à cigarettes de qualité (Rizla), affichent par exemple un bénéfice net (1,757 milliard), plus de deux fois le chiffre d’affaires de l’entreprise. Ce montant provient en réalité d’un dividende de 1,8 milliard d’euros versé par Van Nelle Tabak Nederland, un autre filiale du groupe britannique Imperial Brands auquel Lacroix appartient.
Cet article est paru dans le Top Industrie qui est disponible en PDF.