En Marge du Top Industrie : hausses factices et vrai repli
Tel est le paradoxe d’une année 2022 marquée par une inflation à deux chiffres. (Tony Coenjaerts)
Les mesures sanitaires destinées à endiguer la propagation du coronavirus ayant été progressivement levées, l’industrie avait bien entamé l’année mais l’invasion de l’Ukraine est venue perturber les chaînes d’approvisionnement et les sanctions économiques prises dans la foulée ont propulsé l’inflation vers des hauteurs inédites. Il en est résulté des chiffres d’affaires mirobolants mais trompeurs. Globalement, le chiffre d’affaires des entreprises de notre Top progresse de 25 % alors que la plupart d’entre elles font état d’une stagnation, voire d’un recul des volumes produits. C’est le paradoxe de l’année, enfanté par l’inflation. Les marges bien évidemment se sont étiolées de sorte que, globalement, le ROE des entreprises de notre Top régresse de 9,2 % à 8,6 %.
Pour l’ensemble de notre industrie manufacturière, le SPF Economie estime le recul de 2022 à 0,3 %. Cette contraction se retrouve bien évidemment au niveau de la consommation totale d’énergie primaire qui a reculé de 8,1 % par rapport à 2021. Il s’agit, à l’exception de l’année 2020, du niveau de consommation d’énergie primaire le plus bas depuis le début des années 1990.
Ile artificielle
Les investissements ont par contre progressé de 9,9 à 11,4 milliards d’euros, le principal investisseur de l’exercice sous revue étant DEME Offshore Equipment qui a pris livraison au printemps 2022 de l’Orion, le navire le plus innovant de l’éolien offshore, équipé d’une grue de 5.000 tonnes. Un an plus tard, Orion recevait un petit frère, Green Jade, équipé d’une grue de 4.000 tonnes. DEME construira en association avec Jan De Nul, la première île énergétique artificielle au monde. Grande comme douze terrains de football, elle sera située à 45 kilomètres de nos côtes, coûtera quelque 3,6 milliards d’euros, et devrait émerger des flots en 2026.
Au total, notre industrie manufacturière a généré un surplus de 42 milliards d’euros dans notre balance commerciale. Un record certes, mais attisé par l’inflation. Près du moitié de ce montant (19 milliards) est à inscrire au crédit de l’industrie pharmaceutique qui, aidée il est vrai par de solides incitants fiscaux, a transformé en quelques décennies notre pays en pharma valley. Propriété depuis 1961 du groupe américain Johnson & Johnson, Janssen Pharmaceutica abandonnera prochainement le nom de son fondateur pour devenir Johnson Innovative Medecine. Basée à Beerse, l’entreprise occupe près de 5.400 personnes et vient d’y inaugurer officiellement, en primeur pour la Flandre, une centrale géothermique qui puise, 2,4 kilomètres sous terre, une eau à 85 degrés. Le plus grand employeur de notre Top est toutefois GSK, avec plus de 8.400 personnes occupées. L’entreprise, dont le bestseller est le Shingrix, un vaccin contre le zona (CA 2022, trois milliards d’euros) a entamé en août dernier à Wavre, sur le plus grand site de production de vaccins au monde, la construction d’une nouvelle unité de lyophilisation de vaccins qui représente un investissement de 250 millions d’euros. Le troisième grand, Pfizer Manufacturing (4.080 personnes) compte investir à Puurs, 1,2 milliard d’euros répartis sur trois ans dans l’extension et la modernisation de l’outil de production. Résultat : sur dix vaccins exportés hors d’Europe, sept viennent de Belgique.
Flanders Metals Valley
Les industries chimique et alimentaire ont chacune apporté un bonus de neuf milliards d’euros. Et la métallurgie, un excédent de 13 milliards d’euros. Les entreprises actives dans ce dernier secteur sont depuis fin 2021 regroupées au sein de Flanders Metals Valley, association qui milite pour redorer le blason d’un secteur considéré à tort comme vieillot. Côté aciers, Arcelor Mittal a démarré fin 2022 à Gand son projet Steelanol, une première dans l’industrie sidérurgique européenne qui vise à recycler les gaz résiduels des hauts fourneaux en bioéthanol. Quatre réacteurs, représentant un investissement de 165 millions d’euros produiront annuellement 80 millions de litres d’éthanol durable qui pourra être utilisé comme carburant pour le transport ou comme élément de base pour la production de produits chimiques.
Coté cuivre, l’Allemand Aurubis qui possède à Olen une importante unité de production d’anodes et de cathodes investit 70 millions d’euros dans la construction d’un centre de recyclage de nickel et de cuivre qui devrait être opérationnel dès 2024. Côté aluminium, Aluminium Duffel espère des jours meilleurs. L’entreprise figure parmi les leaders européens de la fabrication de produits laminés en aluminium et dispose, notamment du laminoir à froid automobile le plus grand d'Europe. Constituée au lendemain de la Deuxième guerre mondiale en tant que Métallo-chimique, l’entreprise a connu à partir des années septante divers propriétaires, le dernier en date étant le milliardaire anglo-indien Sanjeev Gupta dont l’empire, GFG Alliance, numéro deux mondial de la sidérurgie est en cours de démembrement suite à la défaillance de Greensill, une star de la City londonienne spécialisée dans les prêts aux entreprises. En juin 2022, Aluminium Duffel a été rachetée par le fonds de placement American Industrial Partners (AIP).
Cessions, acquisitions
Côté aluminium toujours, mais dans la transformation cette fois, E-Max, seul fournisseur du Benelux à proposer des profilés entièrement en aluminium à faible empreinte carbone vient d’acquérir en Allemagne auprès de Constellium, trois installations d’extrusion. Le chiffre d’affaires du groupe (330 millions en 2022) devrait s’en trouver doublé. Orizio Group, nouvelle appellation de Blueberry, holding qui chapeaute les sociétés Sabca et Sabena Aérospatiale Engineering Group, s’est adjoint deux entités du groupe Lufthansa Technik – Lufthansa Technik Brussels et Lufthansa Technik Maintenance International – afin d’accélérer son expansion européenne.
Dans l’autre sens Desmet, un des leaders mondiaux du traitement des huiles alimentaires et des biocarburants est passé dans le giron du Suédois Alfa-Laval. Agfa-Gevaert de son côté, a cédé pour 92 millions d’euros sa plus grosse division, l’offset, au fonds d’investissement allemand Aurelius et voit d’un coup, son chiffre d’affaires consolidé (1,857 milliard d’euros en 2022) amputé de 42 %. Mais le groupe compte rebondir. Lauréat 2022 de l’Essenscia Innovation Award, Agfa construit actuellement à Mortsel une unité de production de membranes de séparation capables de produire jusqu’à quatre fois plus d’hydrogène que les membranes classiques, tout en ayant une durée de vie plus longue. Cet investissement, d’une cinquantaine de millions d’euros, le premier depuis 36 ans sur le site historique de l’entreprise, devrait être opérationnel en 2025.
Déficits chroniques
Divers secteurs industriels nous rendent hélas, structurellement importateurs récurrents. Telle la production de produits informatiques, électroniques et optiques où le déficit – 8 milliards d’euros – a doublé par rapport à 2016. La fabrication d’équipements électriques où le déficit – 7 milliards d’euros – a été multiplié par 2,6 depuis cette même année. Ou encore, la fabrication de machines et autres équipements – moins trois milliards d’euros, malgré 30.000 personnes occupées.
Faut-il réellement s’en étonner ? Avec 4,72 %, soit en chiffres ronds 200.000 postes à pourvoir, notre pays affiche le taux d’emplois vacants le plus élevé d’Europe. Si un quart d’entre eux relèvent du non-marchand, près de la moitié des demandes du secteur marchand concerne l’industrie ainsi que les sciences et services qui y sont associés. En 2018 déjà, l’Europe estimait « préoccupant » notre faible pourcentage de diplômés STIM, c’est-à-dire en Sciences, Technologie, Ingénierie et Mathématiques. Depuis, les choses ne se sont guère améliorées. Que du contraire ! Avec seulement 17,6 % de diplômés de l’enseignement supérieur dans ces disciplines, nous nous situons loin en dessous de la moyenne européenne (24,9 %). En matière de technologies de l’information et de la communication (TIC) nous affichons avec 2,2 % le deuxième plus faible taux de l’Union Européenne, pratiquement la moitié de la moyenne (3,9 %) ! Tout aussi faible par rapport à l’Union Européenne – 4,6 % contre 8,1 % - est la part des femmes diplômées en STIM.
Dès l’école primaire
Que nous les voulions ou non, la pluridisciplinarité, la connaissance de l'automatisation et les compétences numériques deviendront de plus en plus des exigences standards. Malheureusement, l’enseignement ne suit pas. Dans un Rapport 2022 sur le suivi de l’éducation et de la formation dans notre pays, l’Europe s’interroge, par exemple, sur la pertinence en francophonie d’un enseignement dans lequel « seules 3 des 10 options les plus populaires dans l’enseignement professionnel secondaire supérieur préparent les élèves à des métiers en pénurie de main d’œuvre ». Le problème n’est hélas pas limité à l’enseignement professionnel. Le général est également touché. « Il y a une pénurie accrue de bons enseignants STIM, en particulier dans l'enseignement secondaire », regrette ainsi, dans un autre Rapport, l’Observatoire du secteur pharmaceutique. Plutôt que déplorer une nouvelle fois ce problème récurrent, ne serait-il pas plus sage d’en saper les bases en introduisant les STIM de manière ludique dès l'école primaire, ce qui permettrait une fois pour toutes d’y intéresser les jeunes, quel que soit leur sexe ?
Le Top Industrie est disponible via le magazine Trends-Tendances du 25 janvier et en PDF.