Edito Top Construction - La force du vent
Les groupes de rock la jouent parfois tout en douceur et mélodie pour chanter des thèmes universels ou plaquer les bons accords sur des événements majeurs. C’est ainsi que nous parvint l’air siffloté par le groupe allemand Scorpions en 1991 : « The wind of change blows straight into the face of time ». Un succès immédiat, que bien des fans (et c’est souvent le cas) reprenaient en chœur sans toutefois en comprendre le message. Wind of Change évoque la fin de la guerre froide, dans laquelle Mikhaïl Gorbatchev, décédé l’année dernière, a joué un rôle essentiel par sa politique de glasnost (transparence) et perestroïka (réforme) à la fin des années 80. Il alimenta l’espoir d’insuffler un nouvel élan à l’Union soviétique vacillante et au rapprochement entre l’Est et l’Ouest.
Mais l’homme au front marqué par une tache de vin ignorait qu’il initiait ainsi sans le vouloir l’écroulement de son pays. Selon les historiens, l’actuel président Vladimir Poutine y trouverait un vent favorable pour porter son ambition nostalgique de reconstruire inexorablement ce que Gorbatchev détruisit à l’époque. Le résultat est une guerre à nos frontières avec, partout dans le monde, des acteurs géopolitiques soucieux de se positionner de leur bon côté de l’histoire. La planète n’en est pas devenue plus sûre et, sous nos latitudes, les combats en Ukraine sont pointés, en plus d’une inflation inédite, parmi les causes des nombreux problèmes rencontrés avec l’énergie et les matières premières.
Faire chanter les lendemains
Le secteur de la construction n’échappe pas à la tourmente, avec une explosion du prix des matériaux si forte que certains plaident pour intégrer des clauses de révision dans les contrats ou même pour travailler avec des tarifs journaliers. Malgré ce contexte ardu, la construction a enregistré une croissance de 1,5 % en 2022, selon Embuild, et le secteur pourrait se stabiliser en 2023. À quoi ressemble le champ de bataille pour ces sociétés au lendemain de crises successives (n’oublions pas le fameux virus) ? Pendant l’année écoulée, 2.078 entreprises de construction ont fait faillite. Un chiffre plus élevé qu’en 2021 (1.467) et 2020 (1.456), mais plus faible qu’en 2019 (2.185). Avec 1,28 %, la proportion de faillites par rapport au nombre de sociétés actives (162.619) est toutefois beaucoup plus élevée que la moyenne nationale.
La mauvaise nouvelle vient surtout des 11.752 cessations, un chiffre en hausse de 18 % par rapport à 2021 et d’une ampleur inégalée. Et comme la tendance à la hausse du nombre de starters est aussi rompue (14.652 en 2022), la croissance nette est la plus faible jamais enregistrée (+2.900). Il n’y a d’ailleurs pas que les petites entreprises qui subissent ces vents contraires. Ainsi, 30 % des 2.000 sociétés de ce Top Construction affichent une solvabilité inférieure à 25 %. Pour 29 d’entre elles, elle est même négative, ce qui s’apparente à un état de faillite virtuelle.
Alors, entre crainte et espoir, le secteur attend beaucoup d’un air différent venu des années 80 et soufflant à nouveau largement. Vous vous souvenez de la campagne ‘No Time to Waste’ de Greenpeace ? La construction contribue littéralement à créer le monde que nous laisserons à nos enfants demain. La durabilité est plus que jamais au cœur de la construction et du logement, alors que notre pays joue un rôle international déterminant dans l’éolien. Il y a donc bien assez de pain sur la planche, sans doute autrement qu’hier. La question sera plutôt de savoir quels efforts nous sommes aptes ou disposés à consentir. « Where the children of tomorrow dream away », chantaient les Scorpions. À nous de veiller à ce que ce rêve ne tourne pas au cauchemar.
(Tommy Browaeys)
Cet article est paru dans le Top Construction qui est disponible en PDF.